En Champagne, les vendanges sont terminées depuis quelques semaines. Et le dicton populaire « Année en 1, année de rien » s’est vérifié. Après le gel, la grêle, les attaques d’insectes, de mildiou et d’oïdium, les rendements sont plutôt maigres. Retour sur une année 2021, véritable catalogue des horreurs pour les vignerons champenois.
Le gel et la grêle
La vigne s’était pourtant éveillée bien tôt, à la faveur d’un début de printemps très doux. Mais le gel avait rapidement refait son apparition en avril, causant de graves dommages aux bourgeons apparus précocement. Ce fut notamment le cas chez Jean Velut à Montgueux. Le chardonnay, cépage emblématique de ce terroir, a particulièrement souffert, avec des pertes de 70 à 80 % de raisin.
Dans la Vallée de la Marne, c’est la grêle qui a frappé en avril et en juin. Localement, l’intensité des orages a causé de terribles dommages à certains vignobles, dans l’Aisne notamment. Le ciel a été plus ou moins clément d’un cru (village qui produit du champagne) à l’autre, mais n’a pas épargné les vignes Léguillette-Romelot.
Insectes nuisibles, mildiou et oïdium
Dans certaines régions, parfois moins touchées par le gel et la grêle, les vignerons ont fait face à d’autres adversaires, comme les chenilles noctuelles qui montent sur le pied de vigne et évident les premiers bourgeons « dans le coton ». Les dommages causés par ces parasites sont habituellement limités par le développement de la végétation, mais le froid et les gelées ont ralenti le cycle végétatif de la vigne. Les chenilles ont ainsi pu se goinfrer plus longtemps, occasionnant plus de dégâts. Chez Bochet-Lemoine, on a enregistré 20 % de perte dus aux noctuelles et 20 % à la suite du gel de printemps…
Et puis vinrent les records pluviométriques de cet été. Avec une humidité constante et des températures plutôt douces, le mildiou et l’oïdium ont attaqué durement la vigne. Ici également, les situations sont très différentes d’un vignoble à l’autre, et même d’un rang de vignes à l’autre comme l’explique très bien Christophe du champagne Tanneux-Mahy dans cette vidéo. Sur l’ensemble du vignoble champenois, on estime que ces champignons phytopathogènes sont responsables de 20 à 25 % de perte de récolte.
Maigres vendanges
Si la qualité est au rendez-vous, les rendements de 2021 sont plutôt maigres. De mémoire de vigneron, on n’avait plus vu ça depuis les années 50. Certains vignerons n’ont même pas pu vendanger.
En 2018, 2019 et 2020, les vendanges avaient débuté en août. Cette année a certes marqué un retour à la normale (mi-septembre), mais avec des dates de récolte fortement étalées. En effet, les aléas de 2021 ont fait évoluer les parcelles et les cépages de manière très disparate. Les dates officielles de début de vendanges par commune en sont le reflet, véritable casse-tête pour de nombreux vignerons qui ont en outre souvent fait le pari d’attendre afin de presser leurs précieuses grappes à une maturité optimale.
Les défis du réchauffement climatique
Les vignerons de Champagne sont aujourd’hui confrontés à un triple défi : faire face à l’intensification des épisodes météorologiques violents, se prémunir contre les risques (ravageurs, maladies) induits par le changement climatique et travailler de manière toujours plus durable. Car à l’horizon 2030, la Champagne ambitionne que 100 % de ses exploitations bénéficient d’une certification environnementale (Haute Valeur Environnementale ou Viticulture Durable en Champagne).
Paradoxe, le réchauffement climatique met en lumière l’extrême difficulté de « faire du bio » en Champagne pour les plus petites exploitations (au risque de tout perdre lors d’une année comme 2021 !)… et l’intérêt d’une culture raisonnée, respectueuse du terroir et du sévère cahier des charges de l’appellation.
La tendance aux années plus chaudes nous aurait presque fait oublier que la Champagne se situe au septentrion de la viticulture française. Les Champenois en ont d’ailleurs toujours été conscients. C’est ainsi qu’ils ont créé la réserve individuelle obligatoire, un stock de vins tranquilles, qui les protège en cas de coup dur. Cette réserve, unique en son genre et propre à la Champagne, constitue un véritable atout pour relever les défis d’une variabilité climatique et météorologique devenue la norme. Un atout, mais pas la panacée : une multiplication d’années « de rien » viendrait vite à bout de ce fonds de roulement.
Nul doute que les vignerons de Champagne sauront encore s’adapter en expérimentant de nouvelles pratiques viticoles : enherbement des sols, gestion de la surface foliaire, création de nouvelles variétés plus résistantes au départ des cépages traditionnels, élargissement des rangs de vignes (les très discutées « vignes semi-larges »), confusion sexuelle des insectes prédateurs… On le voit, des révolutions sont en marche pour maintenir la typicité et l’excellence du champagne en dépit des vicissitudes climatiques.